Parterre d’Eau
Situé au pied de la façade du château du côté des jardins, à l’ouest, le Grand Parterre fut aménagé entre 1631 et 1634, d’après un plan de Jacques Boyceau de La Barauderie, et remanié à deux reprises par André Le Nôtre au cours des années 166011. Maral, 2013-1 ; Cat. exp. André Le Nôtre en perspectives, 2013, « Le Nôtre, le parterre d’Eau et la Grande Commande de Versailles » (A. Maral)..
Le Grand Parterre ne comportait à l’origine qu’un petit bassin circulaire, mais l’idée d’y placer des sculptures fut, semble-t-il, assez précoce.
En 1666, un certain Pierre de La Haye fut rétribué « pour son paiement d’une figure de plomb représentant un amour sur un cigne pour mettre à un bassin de fontaine de Versailles22. Comptes des Bâtiments du Roi, 1664-1715, t. I, col. 77, paiement du 24 avril 1666. ». Une mention du fontainier Denis Jolly, en 1667, permet de supposer que ce groupe de plomb était situé dans « le bassin du parterre de broderye », autre appellation du Grand Parterre33. Mémoire d’ouvrages de plomberie par Jolly, 24 janvier 1668, no 146 ; document cité dans Hedin, 2012, p. 182..
Peint à la fin des années 1660, le tableau de Pierre Patel (fig. 1) montre un bassin vide.
Antérieure à 1668, une feuille écrite de la main de Charles Perrault et intitulée « Desseins de fontaine pour Versailles » contient deux propositions pour ce parterre44. Perrault, vers 1665-1667. L’attribution de cette feuille à Charles Perrault est due à Bénédicte Gady, L’Ascension de Charles Le Brun. Liens sociaux et production artistique, Paris, 2010, p. 400. : « On pourroit mettre une Pallas tenant sa lance, laquelle feroit le jest mesme de la fontaine, ou bien un Arion avec sa lyre monté sur son dauphin qui feroit le jet d’eau, ou bien un Enfant ayant forme de triton qui, ayant les joues enflées, soufleroit l’eau en l’air. »
En 1668, le Grand Parterre accueillit, de part et d’autre du degré descendant vers le parterre de Latone, les deux groupes de Sphinx chevauché par un Amour (MR 3302 et MR 3303). Ces derniers avaient été élaborés à partir de l’année précédente par les sculpteurs Jacques Houzeau et Louis Lerambert, qui avaient travaillé à partir d’un modèle de Jacques Sarazin et qui s’étaient associés, pour les parties en bronze, avec le fondeur Ambroise Duval.
Les deux groupes de Sphinx chevauché par un Amour sont figurés sur des socles enrichis d’ornements sculptés sur une gravure d’Israël Silvestre, datée de 1674, représentant le parterre de Latone depuis le haut de l’allée Royale, et deux gravures de Pérelle. La première de ces gravures, probablement antérieure à 1680, donne à voir le bassin de Latone depuis le degré descendant vers le parterre de Latone (fig. 2) ; la seconde, datant au plus tard de 1686, montre le parterre d’Eau avant installation des sculptures en bronze (fig. 10).
Les festons qui, d’après les gravures, décoraient chaque face des socles des Sphinx, peuvent correspondre, en partie, aux « ornements de bronze des deux sphinx » mentionnés par les sources comptables55. Comptes des Bâtiments du Roi, 1664-1715, t. I, col. 253 et 420. . Ils ont sans doute été retirés en 1685 ou 1686, lors du transfert des deux groupes à proximité du degré central du parterre du Midi.
Pour accompagner ces deux groupes énigmatiques, le marbrier Hubert Misson fut chargé en 1668 de réaliser un grand globe de marbre66. Comptes des Bâtiments du Roi, 1664-1715, t. I, col. 278, 491, 810 et 842.. Sous la direction de Jacques Buot, membre de l’Académie royale des sciences, la gravure de ce globe terrestre fut entreprise en 1671. En octobre 1674, Colbert ordonnait encore à Philippe Lefebvre, contrôleur des Bâtiments, d’« achever le globe de marbre, le mettre au bout du parterre d’Eau en symétrie avec les deux sphinx, en mesme ligne droite ». Le globe terrestre renvoyait à la devise de Louis XIV, un Soleil répandant ses rayons sur la terre, avec Nec pluribus impar en guise de motto, pour signifier qu’il pourrait éclairer plus d’un monde, tout comme le roi pourrait gouverner plus d’un royaume.
Les deux groupes de Sphinx et le globe sont visibles sur une gravure de Silvestre datée de 1682 (fig. 3).
La définition du premier projet, 1669-1674
À partir de 1669, en même temps que le chantier de l’enveloppe de Le Vau, le Grand Parterre fut considérablement transformé. Ses plantations furent arrachées pour permettre le creusement, en 1671-1672, de trois réservoirs souterrains77. Comptes des Bâtiments du Roi, 1664-1715, t. I, col. 338, 517, 524, 587 et 607.. Au-dessus de ces derniers, une grande pièce d’eau fut aménagée en 1672-167488. Comptes des Bâtiments du Roi, 1664-1715, t. I, col. 588, 622, 625 et 677 ; Lettres, instructions et mémoires de Colbert, 1658-1683, t. V, 1868, p. 366 (lettre de Colbert à Louis XIV du 21 juin 1674). : elle fut à l’origine de l’appellation du parterre d’Eau, dont la conception aurait été confiée à Charles Le Brun, premier peintre du roi.
D’après Claude Nivelon, le principal biographe de Le Brun, ce dernier « fit un dessein, dans ce temps, d’un parterre nommé d’Eau, composé de manière que l’on pouvoit aller partout entre les jets et les fleurs qui l’environnent dans tous les retours, composez de quatre grandes pièces d’eau ou bassins répondans aux pavillons du pallais et d’un grand rond dans le milieu, le tout lié ensemble par leurs angles droits et de retours99. Vie de Le Brun, vers 1699, p. 428. ». Dans la mesure où les pavillons disparurent avec l’enveloppe de Le Vau, il est possible de dater cette première idée d’avant 1669.
Sous la forme d’une vue cavalière, comme si le parterre d’Eau était perçu depuis la terrasse du château, un premier projet d’ensemble (fig. 4) est conservé au sein du fonds Le Brun du département des Arts graphiques du musée du Louvre. Le centre de la grande pièce d’eau, prévue pour coexister avec le bassin rond hérité du Grand Parterre, est occupé par un imposant rocher qui s’inspirerait de celui de la place Navone à Rome.
Percée sur les quatre côtés, cette montagne artificielle devait recevoir les figures d’Apollon, de Pégase, des neuf Muses, de la poétesse Sappho, de nymphes aquatiques, d’enfants, de cygnes et de dragons, ainsi que des allégories de la source Hippocrène et du mont Hélicon. Symbolisant à la fois les monts Parnasse (dominé par la figure d’Apollon) et Hélicon (dominé par celle de Pégase), elle est décrite par Nivelon et a été représentée en deux gravures, intitulées Fontaine des Muses (fig. 5) et Fontaine des Arts (fig. 6), qui furent publiées par la suite, vers 1685, au sein du Recueil de divers desseins de fontaines et de frises maritimes inventées et dessinées par Charles Le Brun de Louis de Chastillon.
Ce premier projet dessiné par ailleurs la présence de seize sculptures à la périphérie du bassin. Reliés entre eux par les margelles, les hauts socles sur lesquels elles reposent semblent reprendre le modèle mis au point par Le Nôtre au jardin de la Reine à Fontainebleau pour supporter les bronzes de Primatice1010. Pressouyre, 1969, p. 233 et 239 ; Samoyault, 1973.. Combiné au dispositif des lances d’eau, ce parti de présentation annonce celui du futur bosquet de la Galerie d’eau ou Salle des antiques.
Sur ce projet, les sculptures paraissent disposées comme pour s’intégrer dans un paysage et, depuis la terrasse du château, le parterre d’Eau pouvait être contemplé à l’instar d’un tableau. Mais le visiteur était aussi invité à pénétrer dans l’œuvre, à passer sous les berceaux d’eau, pour mieux apprécier la subtilité du programme d’ensemble, composé, selon les termes de Nivelon, « de manière que l’on pouvoit aller partout entre les jets d’eau et les fleurs qui l’environnent dans tous les retours ».
Au regard de cette vue cavalière, le plan (fig. 7) également conservé au sein du fonds Le Brun présente d’importantes variantes, notamment en ce qui concerne le nombre, la nature et la répartition des éléments sculptés. Ainsi, la fontaine du Parnasse et celles des angles ont disparu, tandis que vingt-quatre socles sont prévus sur les margelles de la pièce d’eau, quatre autres au milieu des bassins périphériques, quatre autres enfin aux angles du parterre. Cette évolution du projet donnait une place plus affirmée aux sculptures autonomes, au détriment des éléments sculptés intégrés à des fontaines.
Il est possible de mettre en relation les deux dessins du fonds Le Brun avec les maquettes réalisées en 1672 à l’intention du maître d’ouvrage : la première par une équipe de quatre artistes, Michel Anguier, Philippe Caffieri, Domenico Cucci et Jean-Baptiste Tuby ; la seconde par Georges Sibrayque1111. Comptes des Bâtiments du Roi, 1664-1715, t. I, col. 615 et 618.. Jusqu’à cette date en effet, plusieurs propositions auraient été envisagées. La dernière d’entre elles est connue par le plan conservé au Nationalmuseum de Stockholm (fig. 8), qui serait un plan d’exécution des bassins.
Le plan de Stockholm ne présente plus que cinq socles : celui du globe de Misson et de Buot, placé entre les deux bassins occidentaux, et quatre socles aux angles des margelles orientales des deux bassins secondaires. Sur les autres margelles, le plan de Stockholm prévoit toutefois vingt autres emplacements possibles pour des socles. C’est pour ces vingt-quatre socles ou emplacements que furent prévues les statues formant l’ensemble connu sous le nom de Grande Commande de 1674.
Destinée dans un premier temps à être dominée par la composition du Parnasse, la cosmogonie du parterre d’Eau devait ainsi illustrer la vision d’un monde placé sous l’influence d’Apollon, dieu solaire et symbole de Louis XIV. À cet égard, il s’intégrait dans un dispositif plus général d’écriture des jardins, marqué par l’exaltation de la figure d’Apollon, spécialement protégé par Jupiter au bassin de Latone, vainqueur du Mal au bassin du Dragon, régnant sur le déroulement du temps au bassin d’Apollon et à la grotte de Téthys. Le parterre d’Eau constituait une sorte d’apothéose de ce discours apollinien : le dieu devait y être représenté comme répandant ses bienfaits sur le monde et occupant une place centrale dans le déroulement du temps, l’organisation de l’espace et les activités humaines.
Les changements de parti et de programme, 1677-1685
Le premier paiement du troisième des groupes destinés aux angles du parterre d’Eau date de 1677. L’absence de paiement pour le quatrième groupe constitue l’indice d’une volonté de simplifier le dispositif initialement prévu, caractérisé par la complexité de son programme et le grand nombre d’œuvres chargées de le déployer. Il peut être aussi perçu comme une anticipation à la remise en cause radicale de l’entreprise, effective à l’automne 1683.
Cette dernière fut encore précédée, en 1677-1678, par l’installation, au bosquet des Dômes, de versions en plâtre de huit des sculptures de la Grande Commande, suivies par les statues de marbre en août 16831212. Hedin, 1997, p. 276-281.. Datée de 1682, une gravure d’Israël Silvestre (fig. 3) montre le parterre d’Eau avant l’arrivée des premières sculptures de la Grande Commande. C’est en 1682 que furent plantés de nombreux buis autour des bassins.
Pour autant, au moins vingt et un piédestaux furent installés sur le parterre d’Eau en 16821313. Comptes des Bâtiments du Roi, 1664-1715, t. II, col. 170-171, 180 et 192.. Daté de 1684, le dessin de Liévin Cruyl (fig. 9) décrit la situation du parterre d’Eau telle qu’elle pouvait être à la veille de la mort de Colbert, en septembre 1683 : seize statues sont alors en place.
En novembre 1683, le nouveau surintendant des Bâtiments du roi, Louvois, ordonna la destruction du parterre d’Eau : le marché en fut signé avec le terrassier Pierre Leclerc, dit Pitre1414. Marché passé avec Leclerc, 30 novembre 1683..
Selon Nivelon, « on a changé depuis cette disposition, à raison que l’espace a esté jugée trop resserrée pour tant d’ouvrages ensemble ». Bien davantage qu’à la disgrâce – toute relative – de Le Brun, le changement de parti intervenu en 1683 pourrait avoir été provoqué par une prise de conscience subite de l’effet de saturation de l’espace.
Le parterre d’Eau fut remplacé par une nouvelle composition – qui conserva l’ancienne appellation, devenue impropre – formée de deux grands bassins répartis de part et d’autre d’une large allée centrale, de manière à restaurer en quelque sorte la continuité de la Grande Perspective. Un contrat fut conclu en mars 1684 pour la fourniture des blocs de marbre nécessaires aux margelles des nouveaux bassins1515. Contrat pour la fourniture du marbre destiné aux margelles des bassins du parterre d’Eau, 29 mars 1684..
Les margelles de ces bassins devaient accueillir de nouvelles sculptures : le projet général figure sur un dessin des Archives nationales, qui révèle une alternance de vases et de couples de figures assises et adossées1616. Agence des Bâtiments du roi, vers 1683-1685.. Ce dessin a été titré par Jules Hardouin-Mansart, qui semble avoir joué un rôle majeur dans le remaniement de 16831717. Jestaz, 2008, t. I, p. 247.. Pourtant, un des dessins du recueil de l’Institut porte les annotations suivantes, qui laissent penser que le premier architecte du roi n’est intervenu que pour définir le parti des fontaines du Point du jour et du Soir, dites aussi cabinets des Animaux1818. Agence des Bâtiments du roi, vers 1685, fol. 51. : « Parterre d’Eau, du dessein de M. Le Nôtre » ; « cabinets d’eau, du dessein de M. Mansard » ; « Miroirs d’eau, du dessein de M. Le Nôtre ».
Une gravure de Pérelle (fig. 10), non datée, représente les nouveaux bassins du parterre d’Eau bordés de leurs margelles, avant l’installation des sculptures.
Les nouvelles sculptures du parterre d’Eau furent exécutées en bronze1919. Magnien, 1996, p. 53-57 et 62 ; Maral, Amarger, Bourgarit, 2014, p. 84-86.. Louvois fit appel au fondeur Jean-Balthasar Keller, ainsi qu’à l’équipe formée des fondeurs François Aubry, François Bonvalet, Roger Scabol et Pierre Taubin.
Le nouveau programme sculpté du parterre d’Eau fut publié par le Mercure galant de novembre 1686, au sein de la relation de la visite des ambassadeurs de Siam2020. Mercure galant, novembre 1686, p. 211-214.. Sur les margelles de chacun des deux grands bassins ou « canaux », douze groupes sculptés étaient alors prévus, « sçavoir deux fleuves avec leurs attributs, deux rivières et quatre nymphes accompagnées des attributs qui leur conviennent, avec quatre groupes d’enfants », cependant qu’« au milieu de chaque canal il y auroit diverses figures pour représenter la naissance de Vénus et de Thétis [Téthys], qu’ainsi l’un de ces canaux seroit appelé le canal de Thétis [Téthys] et l’autre le canal de Vénus et que ces figures devoient estre accompagnées des dieux marins et de diverses sortes de poissons jettans de l’eau, le tout de bronze ».
Pour les deux grands bassins du nouveau parterre d’Eau, dès 1684-1685, les sculpteurs Jean Drouilly, Louis Le Conte et Jean Légeret furent rétribués pour le modèle du groupe de La Naissance de Vénus (Vjs 759), destiné à prendre place au centre du bassin méridional, et les sculpteurs Jacques Houzeau, Simon Hurtrelle, Noël Jouvenet et Pierre Mazeline pour le modèle du groupe illustrant Le Triomphe de Téthys (Vjs 765), au milieu de l’autre bassin. De part et d’autre des groupes centraux, deux groupes secondaires furent également prévus dans chaque bassin, comme en témoigne une gravure anonyme, certainement de Pérelle, publiée chez Nicolas Langlois (fig. 11). Les sculpteurs Louis Le Conte et Michel Monier furent chargés en 1684-1685 d’en élaborer les modèles pour le bassin de Vénus, Philippe Magnier et Simon Mazière pour le bassin de Téthys2121. Comptes des Bâtiments du Roi, 1664-1715, t. II, col. 437 (paiement à Magnier), 438 (paiement à Le Conte) et 626 (paiements à Mazière et à Monier). Le modèle en terre de Monier est mentionné dans l’inventaire après décès de ce dernier (Inventaire après décès de Monier, 30 décembre 1686)..
À partir des modèles des groupes, les sculpteurs Guillaume Cassegrain et Jean Robert exécutèrent en 1686 des moules en plâtre pour préparer la fonte2222. Comptes des Bâtiments du Roi, 1664-1715, t. II, col. 627-628.. Ces derniers ne servirent pas : en février 1691, les mouleurs Langlois et Robert furent rétribués « pour avoir assemblé et rangé dans la salle des Suisses au Louvre vingt-un creux de tritons enfans et poissons du bassin de Vénus au parterre de Versailles »2323. Comptes des Bâtiments du Roi, 1664-1715, t. III, col. 571-572, paiement du 18 février 1691.. En novembre 1692, les moules sont encore mentionnés par l’Inventaire général des creux […] et autres choses […] rangées présentement dans le Louvre2424. Inventaire des magasins du Louvre, 10 novembre 1692-6 octobre 1695, fol. 4. : « Creux de Vénus, de Thétis [Téthys], de plusieurs groupes d’enfans, de tritons, de tritones, de dauphins et autres poissons, le tout pour estre fait en bronze dans le petit parc de Versailles au milieu de deux grands bassins proches le chasteau. Tous les creux cy-dessus n’estant ny assemblez ny montez, on ne peut point connoistre en quel état ils sont. »
En revanche, à partir de 1685, les vingt-quatre groupes des margelles cités par le Mercure galant de 1686 furent bien exécutés.
Quatre sculpteurs furent chargés des modèles des groupes des allégories des fleuves et de leurs principaux affluents : Antoine Coysevox pour La Garonne (inv. 1850.8936) et La Dordogne (inv. 1850.8935), Étienne Le Hongre, pour La Seine (inv. 1850.8941) et La Marne (inv. 1850.8942), Thomas Regnaudin pour La Loire (inv. 1850.8929) et Le Loiret, dit autrefois l’Allier (inv. 1850.8938), Jean-Baptiste Tuby pour Le Rhône (inv. 1850.8924) et La Saône (inv. 1850.8923).
Le Hongre reçut aussi la commande des modèles des groupes de la Nymphe et zéphyr (inv. 1850.8932) et de la Nymphe et Amour (inv. 1850.8933), tandis que Pierre Legros réalisa les modèles des groupes de la Nymphe et jeune triton (inv. 1850.8926) et de la Nymphe et enfant tenant un oiseau (inv. 1850.8945), Philippe Magnier ceux de la Nymphe et enfant à la conque (inv. 1850.8939) et de la Nymphe et enfant au trident (inv. 1850.8930), et Jean Raon ceux de la Nymphe et Amour tenant un carquois (inv. 1850.8927) et de la Nymphe et Amour tenant une guirlande de fleurs (inv. 1850.8944).
Fondues à l’Arsenal, ces seize sculptures furent livrées une à une par Jean-Balthasar Keller, de janvier 1688 à avril 1691.
Probablement préparatoires, deux terres cuites sont à signaler : celle de La Garonne de Coysevox, mentionnée en 1932 et en 19342525. Catalogue de la galerie Seligmann, 1932, no 21, p. 33 ; Catalogue de la galerie Cailleux, mars 1934, p. 62, no 117 (haut. 30 cm). ; celle du Loiret, dit autrefois l’Allier de Regnaudin, acquise en 2008 par le musée national des châteaux de Versailles et de Trianon2626. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, MV 9138. Maral, 2009..
Leur disposition initiale est connue par un plan de 1695 (fig. 12)2727. Description des jardins de Versailles par Jourdain, janvier 1695, fol. 32. Voir aussi Maral, 2009, p. 48. .
L’état attesté par l’inventaire de 1722 est conforme au plan de 1695 (fig. 12) – au moins pour les allégories fluviales, les nymphes étant seulement esquissées sur le plan de 1695.
L’inventaire de 1850 confirme l’état de 1722, à ceci près que la Nymphe et enfant à la conque (inv. 1850.8939) de Magnier et Le Loiret, dit autrefois l’Allier (inv. 1850.8938) de Regnaudin auraient échangé leurs places sur la margelle septentrionale du bassin nord2828. Inventaire de Versailles de 1850, p. 505-506.. Étant donné que la Nymphe et enfant à la conque (inv. 1850.8939) se trouve aujourd’hui au même emplacement qu’en 1722, il est probable que le rédacteur de l’inventaire de 1850 ait commis une erreur.
La réfection des bassins et réservoirs du parterre d’Eau menée en 1850-1851 exigea la dépose de l’ensemble des groupes de bronze en juin-juillet 1850 2929. Registre d’attachements relatifs à la restauration des bassins du parterre d’Eau et de Latone, 1850, n. p. (attachement no 1 de charpente par Touchard et attachement no 2 de maçonnerie par Ouachée, concernant notamment la dépose des groupes en bronze des deux bassins du parterre d’Eau et leur transport sur la terrasse de l’avant-corps du château, entre le 25 juin et le 8 juillet 1850). Au sujet de la disposition des groupes sur les margelles, voir Pasquier, 2023.. À l’occasion de la remise en place des groupes entre avril et juin 1851, la disposition d’origine fut modifiée 3030. Registre d’attachements relatifs à la restauration des bassins du parterre d’Eau et de Latone, 1851, n. p. (attachement no 5 pour travaux faits au bassin nord du parterre d’Eau en avril 1851, mentionnant notamment le bardage des groupes en bronze le 17 avril ; attachement no 12 pour travaux faits aux bassins du parterre d’Eau du 28 mai au 21 juin 1851, « changement de statues en bronze du bassin nord à celui sud », les 6 et 7 juin, et « bassin sud, transport de groupes en bronze », le 18 juin). Au sujet de la disposition des groupes sur les margelles, voir Pasquier, 2023.. En 1855, la première édition du guide d’Eudore Soulié décrit la nouvelle configuration, qui correspond à l’état actuel 3131. Soulié, 1854-1855, t. II, 1855, p. 767-769.. Désormais, les allégories des fleuves se trouvent en face de celles de leurs affluents et les nymphes installées sur une même margelle sont disposées face à face.
Répartition des groupes de bronze sur les margelles du parterre d’Eau, selon l’ordre de l’inventaire de 1850 (dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, en commençant par la margelle orientale, côté château) :
Le Mercure galant de novembre 1686 signale aussi le projet de « mettre le long de la façade du château plusieurs grandes cuvettes de mesme matière [bronze] et remplies d’ornemens ». Les modèles des quatre grandes cuvettes (Vjs 1268) destinées à prendre place au pied de la façade du château furent élaborés en 1685, par les sculpteurs Noël Jouvenet et Pierre Mazeline pour deux d’entre elles, et Corneille Van Clève pour les deux autres. Là encore, le sculpteur Jean Robert réalisa les moules en plâtre de ces cuvettes, qui ne furent jamais traduites en bronze.
En juin 1686, sans doute pour accélérer le rythme de livraison des sculptures, Louvois passa avec l’équipe de fondeurs formée de François Aubry, François Bonvalet, Roger Scabol et Pierre Taubin un marché semblable à celui qui avait été conclu en 1683 avec Keller3232. Marché passé avec Aubry, Bonvalet, Scabol et Taubin, 30 juin 1686.. Entre 1686 et 1690, les quatre fondeurs exécutèrent huit groupes d’enfants pour orner les angles des deux grands bassins du parterre d’Eau.
Les modèles de ces groupes avaient été élaborés à partir de 1685 par des sculpteurs différents : Jacques Buirette et François Lespingola (Un Amour, deux enfants et un cygne ; inv. 1850.8940), Jean Degoullons (Un Amour tenant un oiseau et deux enfants, dont un assis ; inv. 1850.8946), Pierre Granier (Un Amour tenant un flambeau et deux enfants ; inv. 1850.8943), Pierre Laviron et Pierre Legros (Trois enfants tenant une guirlande ; inv. 1850.8928), François Lespingola (Deux Amours, un enfant et deux dauphins ; inv. 1850.8934), Simon Mazière (Un Amour tenant un oiseau et deux enfants ; inv. 1850.8931), Jean-Baptiste Poultier (Deux Amours et une fillette tenant un miroir ; inv. 1850.8925) et Corneille Van Clève (Deux Amours et un enfant soufflant dans une conque ; inv. 1850.8937).
Les huit groupes d’enfants coûtèrent en tout 20 000 livres : le parfait paiement fut versé en 16953333. Comptes des Bâtiments du Roi, 1664-1715, t. III, col. 1087..
L’analyse de tous ces groupes a montré une grande homogénéité d’alliage, avec une composition très proche de celle utilisée par Keller3434. Maral, Amarger, Bourgarit, 2014, p. 85 et 91..
Actuellement conservé en collection particulière, un groupe de terre crue est préparatoire à celui de Deux Amours et un enfant soufflant dans une conque3535. Maral, 2012-1, p. 81..
Les bronzes du parterre d’Eau furent soigneusement recouverts d’une patine artificielle destinée à unifier durablement leur aspect. La recette de cette patine fut indiquée en 1739, lorsque le fondeur Pierre Varin y fit allusion dans un marché concernant un bronze sans rapport avec Versailles3636. Hoog, 1985, p. 55. : le fondeur envisageait « de faire ce que M. de Louvois a fait faire aux groupes de bronze du tour des pièces d’eau devant la face du château de Versailles, où, pour les rendre d’une teinte uniforme, il y fit passer un enfumage de bois de haître verd qui, par une gomme qui en sort, y imprime la fumée qui y donne cette teinte uniforme qui s’y conserve éternellement ». Encore visible sur les photographies anciennes, cette patine a été totalement refaite en 1978-19823737. Jestaz, 1982, p. 31 et 33..
Poursuivant sa description du projet d’aménagement du nouveau parterre d’Eau, le Mercure galant de novembre 1686 ajoute aussi : « Cependant ce n’est pas tout ce qu’on remarquera en cet endroit, puisque dans deux petits bassins tout de marbre, qui sont quarrez et élevez et qu’on a placez un peu par-delà ces deux canaux et sur la même esplanade, on doit voir encore des combats d’animaux, qui seront de bronze. »
Situés dans la partie occidentale du parterre d’Eau, les deux bassins furent creusés au printemps 16843838. Maral, 2006, p. 61..
Ils succédèrent à deux salles de verdure, visibles sur un plan général des jardins (fig. 13) conservé aux Archives nationales et datable de 1680-1681. À l’automne 1683, il fut projeté d’installer à ces emplacements les deux groupes des Chevaux du Soleil (MR 1873 et MR 2044) provenant de la grotte de Téthys3939. Hedin, 1997, p. 212-225 ; Maral, 2006, p. 61..
En janvier 1684, les sculpteurs Anselme Flamen et Pierre Legros furent rétribués « pour avoir posé et restauré le groupe de chevaux et tritons de stuc à Latone en 16834040. Comptes des Bâtiments du Roi, 1664-1715, t. II, col. 473, paiement du 16 janvier 1684. ». Il s’agit probablement du modèle à grandeur (Vjs 389) d’un des groupes des Chevaux du Soleil, disposé au-dessus du parterre de Latone en guise de préfiguration. Ce projet fut abandonné en avril 1684 : à cette date, il fut en effet question d’édifier, à la place du bosquet des Sources, un « pavillon porté par des colonnes, qui sera fermé au fonds pour y mettre le grouppe d’Apollon de la grotte avec les grouppes de Chevaux et les deux figures qui estoient dans les niches de ladite grotte4141. Mémoire à l’attention de Louvois, 18 avril 1684. ».
Les deux bassins sont désignés par au moins une source ancienne sous le nom de bassin de Flore (au sud) et de bassin de Diane (au nord)4242. Agence des Bâtiments du roi, vers 1690, « Plan du parterre de devant le château ».. Ils sont environnés de six sculptures allégoriques de la Grande Commande, les seules à être demeurées sur le parterre d’Eau : Le Printemps, sous les traits de Flore, de Laurent Magnier (MR 2038) au sud, Le Soir, sous les traits de Diane, de Martin Desjardins (MR 1835) au nord, ainsi que Le Point du jour de Gaspard Marsy (MR 2043) et L’Eau de Legros (MR 2016) au sud, L’Air de Le Hongre (MR 2022 ; en face du Point du jour) et L’Heure de Midi de Gaspard Marsy (MR 2045) au nord.
Leur appellation la plus courante est celle de fontaines du Point du jour (au sud) et du Soir (au nord), ou encore de cabinets des Animaux.
Ils accueillirent chacun deux groupes, dont les modèles, élaborés en 1685, furent traduits dans le bronze en 1686-1687 par Keller, qui les livra à Versailles entre juillet et décembre 1687. Ces premiers bronzes du nouveau parterre d’Eau illustraient des combats d’animaux : Jacques Houzeau fut l’auteur des modèles des deux groupes du cabinet méridional, ceux du Tigre terrassant un ours (inv. 1850.8948) et du Limier terrassant un cerf (inv. 1850.8947), tandis que, pour l’autre cabinet, Jean Raon et Corneille Van Clève furent chargés, le premier du modèle du Lion terrassant un sanglier (inv. 1850.8952), le second du Lion terrassant un loup (inv. 1850.8951).
Présent sur le marché de l’art en 2003, un groupe préparatoire en cire du Lion terrassant un loup de Van Clève est désormais conservé en collection particulière4343. Maral, 2012-1, p. 80-81..
En 1685-1686, la terrasse du parterre d’Eau reçut le Vase de la Guerre (MR 2799) et le Vase de la Paix (MR 3026), placés à l’aplomb des salons de la Guerre et de la Paix.
En juillet 1683, cinq sculpteurs – Antoine Coysevox, Anselme Flamen, François Girardon, Thomas Regnaudin et Jean-Baptiste Tuby – furent rétribués pour huit vases de marbre de grandes dimensions (7 pieds ½ de haut, soit environ 250 cm), destinés à Versailles4444. Comptes des Bâtiments du Roi, 1683, fol. 183 (source citée par Maës, 2019, vol. I, p. 283).. Comme le suppose Antoine Maës, cet ensemble de huit vases était peut-être destiné à orner la terrasse du parterre d’Eau4545. Maës, 2019, vol. I, p. 283-284.. Le programme aurait ensuite été modifié, le nouveau surintendant des Bâtiments du roi, Louvois, ne maintenant la commande que de deux vases, ceux de Coysevox et de Tuby.
Le premier de ces vases historiés, le Vase de la Guerre (MR 2799), est dû à Antoine Coysevox. Il représente l’allégorie de la France, l’épée à la main, poursuivant les Turcs. Un aigle, symbole du Saint Empire, est posé sur le bouclier de la France : il rappelle l’aide fournie par la France au Saint-Empire contre les Turcs en 1664. De l’autre côté du vase, la France est illustrée une seconde fois, recevant l’hommage de l’allégorie de l’Espagne, allusion à l’incident diplomatique de 1662 au terme duquel l’ambassadeur espagnol à Londres fut contraint de reconnaître la préséance française. Cette composition fait écho à celle peinte par Le Brun sur le même thème à la voûte de la Grande Galerie.
Au sein du fonds Robert de Cotte, un dessin de ce vase porte l’annotation suivante4646. Agence des Bâtiments du roi, [1699-1702], no 1632 (34), microfilm F 002030. : « Le sieur Coisvaux dit qu’elle doit estre isolée parce qu’elle est travaillée avec soin de tous costés. »
Sur la gauche du dessin, une forme chantournée est ainsi annotée : « Plan de la Vénus » et « 1 pied 6 pousse », c’est-à-dire 51 cm. Il s’agit du plan de la terrasse de la Vénus Médicis de Keller (MR 3292), qui comporte l’indication des deux pieds et du dauphin. L’inscription « Plan de la Vénus » est reprise sous le Vase de la Guerre, ce qui laisse supposer que le bronze de Keller, ou tout au moins son modèle de plâtre, fut présenté, en attendant l’arrivée du vase à Versailles, sur la terrasse du parterre d’Eau, son assise étant comparable à celle du Vase de la Guerre. Un paiement de mai 1685 concerne en effet les modèles de plâtre que Girardon « a faits de la Vénus et d’Adonis sur la terrasse du chasteau de Versailles »4747. Comptes des Bâtiments du roi, 1664-1715, t. II, col. 619..
Le Vase de la Paix (MR 3026) est dû à Jean-Baptiste Tuby. Louis XIV y apparaît costumé à l’antique, revêtu de la perruque et du manteau fleurdelysé. Assis sous une ample draperie portée par des palmiers et formant un dais, il est entouré par l’allégorie de la Victoire et la figure d’Hercule, symbole de force et de vertu. Alors que l’allégorie de l’Histoire inscrit la mention de la paix de Nimègue sur sa tablette, celle de la Paix conduit une théorie de nations européennes – représentées selon un parti qui évoque le relief des Danseuses Borghèse –, les allégories de la Hollande, de l’Espagne et de l’Allemagne : là encore, l’iconographie est largement tributaire du système mis en œuvre par Le Brun aux voûtes de la Grande Galerie et de ses deux salons.
En 1793, le sculpteur Claude Dejoux fut chargé d’« ôter les emblèmes de la féodalité » aux deux vases4848. État des ouvrages de sculpture faits par Dejoux, 1793..
En juillet 1705, à l’emplacement initialement prévu pour les cuvettes de bronze dont il a été question plus haut, la façade du château donnant sur le parterre d’Eau accueillit les quatre grands bronzes fondus par Jean-Balthasar Keller pour le parterre de l’Orangerie : du nord au sud, Bacchus au repos, dit Bacchus de Versailles (MR 3286), Apollon du Belvédère (MR 3282), Antinoüs du Belvédère (MR 3281) et Silène portant Bacchus, dit Grand Faune Borghèse (MR 3291)4949. État des fournitures de plomb, 1690-1721, 9 juillet 1705, livraison de 400 livres de plomb « aux marbriers pour les piédestaux des bronzes de la terrasse du jardin »..
En 1939-1940, tous les bronzes du parterre d’Eau et de la terrasse ont été déposés dans le cadre de la défense passive (fig. 14 et fig. 15). À leur retour, deux groupes d’enfants (inv. 1850.8928 et inv. 1850.8940) ont été replacés selon une orientation différente de celle d’origine.
En novembre 2022, les bronzes du parterre d’Eau changés de place en 1851 ont retrouvé leurs emplacements d’origine ; les groupes d’enfants qui avaient subi une rotation ont été remis dans l’orientation attestée par les gravures de 1739 et 17515050. Cochin, d’après Perrot, 1739 ; Marvie et Ouvrier, d’après Cochin, 1751..