Allée d’Eau
Allée d’Eau
Tracée par André Le Nôtre au moins dès 1664, l’allée d’Eau – dite aussi Cascade de la Pyramide11. L’appellation de « Cascade de la Pyramide » est attestée par l’inventaire de 1722 (p. 91). Celle d’allée des Marmousets date du xixe siècle. – constitue un élément important de l’axe nord-sud des jardins du château. Son terrain en pente régulière relie le parterre du Nord au bassin de Neptune.
La Petite Commande
Disposées en 1666 dans des niches de verdure aménagées autour du bassin circulaire dit le Rondeau ou le Grand Rondeau, futur bassin du Dragon, les sculptures de la Petite Commande furent les premières œuvres à peupler la partie nord de l’axe nord-sud des jardins du château. De part et d’autre de chacune des allées menant au bassin du Rondeau, les œuvres furent présentés par paires, une figure féminine étant placée en face d’une figure masculine.La Joueuse de tambourin et satyre (Vjs 827) et le Satyre accompagné d’un petit satyre (Vjs 830), deux groupes dus à Philippe de Buyster, furent disposés de chaque côté de l’entrée de la future allée d’Eau, respectivement à l’est et à l’ouest.Également de Buyster, la Nymphe tenant une couronne de chêne (Vjs 828) répondit au Satyre tenant une grappe de raisin et une flûte de pan (Vjs 829). Ils furent placés au nord, la première à l’ouest, le second à l’est.Le Faune (Vjs 866) et la Joueuse de tambourin et Amour (Vjs 868) de Louis Lerambert furent installés à l’est, le premier au nord, la seconde au sud.Le Satyre (Vjs 869) et l’Hamadryade ou danseuse (Vjs 867) de Lerambert furent placés à l’ouest, le premier au sud, la seconde au nord.
En situation inversée, la Joueuse de tambourin et satyre (Vjs 827) et le Satyre accompagné d’un petit satyre (Vjs 830) de Buyster sont visibles, de part et d’autre de l’entrée de l’allée d’Eau, sur la gravure d’Israël Silvestre publiée en 1676, Veue du chasteau de Versailles du costé de l’allée d’Eau et de la fontaine du Dragon (fig. 1).
Avant 1681, date de l’édition du guide de Combes, les sculptures de la Petite Commande furent transférées au bassin d’Apollon22. Combes, 1681, p. 103..
Les groupes de plomb, 1668-1670
L’aménagement de l’allée d’Eau fut vraisemblablement réalisé selon un projet de Claude Perrault, qui en donna l’idée générale, et de Charles Le Brun, qui présida « à la composition des figures » des fontaines33. Mémoires de Charles Perrault, vers 1700, p. 209-210 ; Blondel, 1752-1756, t. IV, 1756, p. 103..Ces dernières furent mises en place au cours des années 1668-1670 : leurs éléments sculptés étaient dus à Pierre Legros (Trois tritons [Vjs 1209 et Vjs 1210], Trois enfants dansant et tenant des grappes de raisin [Vjs 1205 et Vjs 1206], Trois satyres [Vjs 1207 et Vjs 1208]), Étienne Le Hongre (Deux Amours et une fillette [Vjs 1203 et Vjs 1204]) et Louis Lerambert (Trois enfants dansant [Vjs 1211 et Vjs 1212], Trois enfants musiciens [Vjs 1213 et Vjs 1214], Trois enfants en termes [Vjs 1215 et Vjs 1216]). En plomb doré, les groupes furent exécutés chacun en deux exemplaires et disposés en symétrie, de part et d’autre d’une allée centrale.
Le dispositif est décrit par André Félibien en 167444. Félibien, 1674, p. 52-56..
Chaque fontaine était composée d’un fût ou d’un tronc autour duquel étaient répartis trois protagonistes. Ces derniers portaient une vasque dont l’eau retombait en minces rideaux depuis les bords. Tous ces groupes étaient surmontés de corbeilles de coquillages, de fruits ou de fleurs, en plomb également doré, réalisées d’après des modèles du sculpteur Benoît Massou55. Comptes des Bâtiments du Roi, 1664-1715, t. I, col. 421..
La répartition des sculptures semble établir un rapport de symétrie entre les groupes extrêmes, formés de figures partiellement humaines (Trois enfants en termes [Vjs 1215 et Vjs 1216] au nord et Trois tritons [Vjs 1209 et Vjs 1210] au sud) et entre les groupes pénultièmes (Trois satyres [Vjs 1207 et Vjs 1208] au nord et Trois enfants dansant et tenant des grappes de raisin [Vjs 1205 et Vjs 1206] au sud), de tonalité nettement bachique, tandis que les groupes centraux sont composés d’enfants danseurs ou musiciens (Trois enfants musiciens [Vjs 1213 et Vjs 1214] au nord, Deux Amours et une fillette [Vjs 1203 et Vjs 1204] au sud, Trois enfants dansant [Vjs 1211 et Vjs 1212] au centre).
Les groupes d’esprit bachique furent confiés à Legros, dont les enfants, aux visages larges et charnus, aux cheveux ébouriffés et à l’air plébéien, sont d’un style aisément reconnaissable. À l’inverse, les enfants de Lerambert, et surtout ceux de Le Hongre, sont plus raffinés et plus mélancoliques. Comme Lerambert, Legros et Le Hongre avaient fréquenté l’atelier de Jacques Sarazin et avaient été reçus membres de l’Académie royale de peinture et de sculpture, respectivement en 1666 et en 1667. Sarazin avait accordé une grande attention à la représentation de l’enfance et, selon Georges Guillet de Saint-Georges, « M. Lerambert se plaisait beaucoup à faire des modèles d’enfants d’après le naturel et y réussissait parfaitement ».
Datable de 1680-1681, le plan général des jardins (fig. 2) conservé aux Archives nationales montre l’allée d’Eau dans sa première configuration : de chaque côté de l’allée proprement dite, quatre bassins circulaires alternaient avec trois bassins carrés.
Le complément de 1678-1680
À partir de 1678, des groupes d’enfants supplémentaires furent mis en chantier (Vjs 1001, Vjs 1002, Vjs 1217, Vjs 1218, Vjs 1219, Vjs 1220, Vjs 1221, Vjs 1222, Vjs 1223 et Vjs 1224). Ces groupes furent disposés en 1680 au centre de dix nouveaux bassins, exécutés l’année précédente66. Comptes des Bâtiments du Roi, 1664-1715, t. I, col. 1146 et 1182..
Dans un premier temps, huit de ces nouvelles fontaines furent peut-être prévues pour être intégrées, au nord du bassin du Dragon, à la margelle supérieure du bassin de Neptune alors en cours d’élaboration : c’est ce que montre une estampe de Nicolas de Poilly, qui semble ne refléter qu’un projet.
Ce document montre aussi que deux d’entre elles furent implantées du côté du bassin de Neptune, au sein d’échancrures laissées par la margelle dans sa première configuration.
Les auteurs des nouveaux groupes sont indiqués par les sources comptables : Pierre Legros encore, avec Benoît Massou, deux sculpteurs qui avaient déjà eu l’occasion de travailler en association, ainsi que Pierre Mazeline. Louis Lerambert, qui aurait logiquement pu participer à l’entreprise, était décédé depuis 1670.
Pour les huit groupes prolongeant l’allée d’Eau au sud du bassin du Dragon, le recueil de Simon Thomassin indique Legros pour les groupes de Trois enfants pêchant (8es groupes ; Vjs 1217 et Vjs 1218) et Massou pour ceux des Trois enfants chassant (9es groupes ; Vjs 1221 et Vjs 1222), Trois garçons (10es groupes ; Vjs 1223 et Vjs 1224) et Trois fillettes (11es groupes ; Vjs 1219 et Vjs 1220). Moins rémunéré, Mazeline fut probablement l’auteur des 12es groupes (Vjs 1001 et Vjs 1002), destinés à prendre place du côté du bassin de Neptune et supprimés par la suite.
C’est peut-être à la faveur de cette augmentation que de grands topiaires furent disposés pour alterner avec les bassins, désormais tous circulaires : les sculptures étaient ainsi appelées à ponctuer les séquences ternaires créées par la végétation.
En 1685, en remplacement de la dorure, le peintre François Chaillot fut chargé de vernir de couleur de bronze les groupes de l’allée d’Eau77. Comptes des Bâtiments du Roi, 1664-1715, t. II, col. 614..
À une date inconnue, antérieure à 1687, les groupes de l’allée d’Eau furent surmontés de vasques de marbre de Languedoc, qui remplacèrent les corbeilles d’origine.
En 1687, à la veille de leur remplacement par des versions en bronze, l’architecte suédois Nicodème Tessin, en visite à Versailles, les décrit ainsi : « Les grouppes des enfans sont de plomb bronzés, au lieu qu’ils estoient autrefois dorés. Les cochilles en haut, où sorte le jet d’eau qui forme la nappe, sont d’un marbre rouge et blanc88. Relation de Tessin, 1687, p. 157.. »
Les deux statues de la Grande Commande
À partir de 1684, les statues de la Grande Commande – provenant du parterre d’Eau, mais aussi du bosquet des Dômes (occupé par de nouvelles sculptures à partir du printemps 1684) – furent replacées dans les jardins.
Le Colérique de Jacques Houzeau (MR 1877) et Le Sanguin de Noël Jouvenet (MR 2004) prirent place à l’entrée de l’allée d’Eau, le premier à l’ouest, le second à l’est, en lien visuel avec le dispositif du parterre du Nord.
Ces deux œuvres ont été mises à l’abri en 2013 et remplacées par des répliques (inv. 2015.00.008 pour Le Sanguin, inv. 2014.00.903 pour Le Colérique).
Le remplacement de 1684-1689
En 1684, la décision fut prise de remplacer vingt-deux des groupes de plomb de l’allée d’Eau par des versions en bronze. Associés en vertu d’un contrat de mars 1684, les fondeurs Pierre Langlois, Henri et Nicolas Meusnier et Pierre Varin travaillèrent d’après des modèles en terre et en cire99. Marché entre Langlois, Meusnier et Varin, 22 mars 1684. Voir aussi Contrat entre Langlois, Meusnier et Varin, 10 juillet 1684.. Ces derniers avaient été élaborés par les sculpteurs Jean Cornu, Barthélemy de Mélo et Corneille Van Clève à partir de prises d’empreinte sur les groupes en plomb1010. Comptes des Bâtiments du Roi, 1664-1715, t. II, col. 437 (paiements de mars et juillet 1684 à Van Clève ; voir aussi Hedin, 1997, p. 338-339, note 435), col. 438 (paiement de septembre 1684 à Cornu) et col. 1181 (paiement de septembre 1687 à Mélo).. Avec ses groupes de bronze et ses vasques de marbre, le nouvel état de l’allée d’Eau fut achevé en 1688-16891111. Comptes des Bâtiments du Roi, 1664-1715, t. III, col. 103 et 291-292..
Les onze nouvelles paires correspondent aux groupes de Legros (Trois tritons, Trois enfants dansant et tenant des grappes de raisin, Trois satyres et Trois enfants pêchant, 1ers, 2es, 6es et 8es groupes depuis le sud ; MR 3294 – MR 3295, MR 3296 – MR 3297, MR 3298 – MR 3299 et MR 3312 – MR 3313), de Le Hongre (Deux Amours et une fillette, 3es groupes ; MR 3300 – MR 3301), de Lerambert (Trois enfants dansant, Trois enfants musiciens et Trois enfants en termes, 4es, 5es et 7es groupes ; MR 3304 – MR 3305, MR 3306 – MR 3307 et MR 3308 – MR 3309) et de Massou (Trois enfants chassant, Trois garçons et Trois fillettes (9es, 10es et 11es groupes ; MR 3314 – MR 3315, MR 3213 – MR 3214 et MR 3310 – MR 3311).
Perpétuant probablement le parti de présentation d’origine, les fontaines, de part et d’autre de l’allée centrale, furent orientées de manière à offrir des points de vue différenciés, si bien qu’il n’est pas possible de comprendre, de prime abord, qu’il s’agit en fait de paires de fontaines identiques.
Quant aux vingt-quatre groupes de plomb primitifs, non détruits, mais désormais dépourvus de toute fonction hydraulique, ils furent installés dans les jardins de Marly. L’« Estat des figures, groupes et vases de marbre, plomb, bronze et cuivre posez dans le jardin de Marly » mentionne, « répandus dans le jardin », « 24 groupes d’enfans de plomb tirez de l’allée de la Pyramide de Versailles1212. Inventaire des sculptures des jardins de Marly, 15 juillet 1695. ». Certains d’entre eux furent rétablis et augmentés en 1689-1690 d’une composition de fleurs et de fruits, d’autres modifiés après 1696 par adjonction d’une cassolette à leur sommet1313. Comptes des Bâtiments du Roi, 1664-1715, t. III, col. 337 et 472 ; t. V, col. 537 : Maroteaux, 2009, p. 146.. L’inventaire de 1706-1708 – le seul des sculptures des jardins de Versailles, de Trianon et de Marly à recenser les œuvres en plomb – permet de les situer dans les jardins de Marly1414. Inventaire des sculptures, [1706-1708], p. 215-224. : sur la rampe de la chapelle, sur la rampe du côté des offices, sur la rampe au bas de la Rivière du côté des offices, sur la rampe du côté de la chapelle au bas de la Rivière, au cabinet des Portiques au-dessous du bosquet d’Agrippine et au cabinet des Portiques au couchant. Surtout, le descriptif de ces groupes constitue une source précieuse pour mieux connaître les modèles d’origine de Versailles, au regard desquels les groupes en bronze des Trois fillettes (MR 3310 et MR 3311) et des Trois enfants musiciens (MR 3306 et MR 3307) présentent un certain nombre de variantes. En 1796, Alexandre Lenoir tenta en vain de rapatrier au musée des Monuments français « huit groupes d’enfants portant des cuvettes, exécutés en plomb » et attribués à Coysevox1515. Lettre de Lenoir à Bénezech du 12 octobre 1796 et réponse de Bénezech du 30 octobre 1796.. Tous les groupes de plomb disparurent sans laisser de trace à la fin du xviiie siècle1616. Maroteaux, 2009, p. 147-148..
Bassin du Dragon
Creusé au début des années 1660, le bassin du Rondeau ne fut dans un premier temps animé que par un simple jet d’eau. C’est en 1667 qu’il reçut un important décor sculpté en plomb (Vjs 398), entrepris l’année précédente par les frères Gaspard et Balthasar Marsy.
Le bassin illustre le thème de la victoire d’Apollon sur le serpent Python. Selon la mythologie antique, le monstre avait tenté de tuer Latone, la future mère d’Apollon : trois jours après sa naissance, ce dernier le transperça de ses flèches au pied du mont Parnasse.
Les frères Marsy représentèrent le serpent Python sous la forme d’un dragon, de la gueule duquel sort un grand jet d’eau, matérialisant la douleur de son agonie. Les flèches d’Apollon ne sont pas lancées par le dieu, mais par des enfants chevauchant des cygnes : ces derniers animaux sont réputés protecteurs d’Apollon, parce qu’ils ont survolé l’île de Délos au moment de la naissance du dieu, où Latone avait trouvé refuge pour accoucher.
Le bassin fut décrit pour la première fois par André Félibien, tout récemment nommé historiographe du roi, dans sa Relation de la feste de Versailles de 1668 : « Dans le milieu de son bassin, l’on voit un dragon de bronze, qui, percé d’une flèche, semble vomir le sang par la gueule en poussant en l’air un bouillon d’eau qui retombe en pluye et couvre tout le bassin. Autour de ce dragon il y a quatre petits amours sur des cignes, qui font chacun un grand jet d’eau et qui nagent vers le bord comme pour se sauver. Deux de ces amours, qui sont en face du dragon, se cachent le visage avec la main pour ne le pas voir et, sur leur visage, l’on aperçoit toutes les marques de la crainte parfaitement exprimées. Les deux autres, plus hardis parce que le monstre n’est pas tourné de leur costé, l’attaquent de leurs armes. Entre ces amours sont des dauphins de bronze dont la gueule ouverte pousse en l’air de gros bouillons d’eau1717. Félibien, 1668, p. 6.. »
Les dauphins sont tournés vers les quatre points cardinaux, tandis que les enfants chevauchant des cygnes – et non des amours, comme s’il s’agissait de renvoyer plus directement à Apollon lui-même, qui combattit le serpent Python peu de temps après sa naissance – sont placés dans les diagonales.
Vers 1675, le fontainier Denis rédigea une description versifiée des sculptures des jardins de Versailles. À propos du bassin du Dragon, il écrit :
« Au bout de cette allée, on voit, chose admirable, Dans un bassin fort grand, un dragon effroyable, Qui, frappant et des pieds et des aisles, fait peur, Jettant un bouillon d’eau, d’une telle hauteur, Qu’on diroit à le voir qu’il va percer les nues Et surprendre du ciel touttes les avenues. Là sont quatre dauphins, icy sont des cignes, Quatre amours ravissans par des efforts insignes, Ils lancent au dragon des flèches et des traits Et tâchent d’accabler ce monstre par leurs jets, Figures qui font voir un combat d’une vie, Que Dieu a destiné pour chasser l’hérésie Dont le poison mortel infecte les esprits Et dans la France a fait de terribles débris. Les temples démolis, les vols et les carnages Sont de sa cruauté d’horribles témoignages. Mais un dauphin royal doit, par l’ordre des Cieux, Les armes à la main, l’attaquer en tous lieux Et, comme un autre Alcide, redoutable en sa guerre, Il doit exterminer ce monstre de la terre. Les amours secondans, en un dessein si bon, Les dauphins obstinés à perdre le dragon Figurent qu’un Dauphin, les délices du monde, Destruira sa malice, en misères fécondes, Et, se rendant conforme aux loix du Tout-Puissant, Aura, comme son père, un Estat florissant1818. Description par Denis, vers 1675, fol. 17v-18.. »
Ainsi, le bassin du Dragon pouvait être perçu comme le symbole rétrospectif de l’œuvre de répression de l’hérésie protestante, entreprise par Louis XIII et destinée à être menée à terme par le dauphin, futur Louis XIV.
Au cours d’une campagne de restauration abusive, menée entre 1884 et 1892, tous les éléments sculptés du bassin du Dragon ont été refaits à plus grande échelle par Tony Noël, Jules-Félix Coutan et Laurent Marqueste, avec la collaboration du fondeur Camille Berson (inv. 2012.00.673-2012.00.681) : si le programme général du bassin a été respecté, l’art des Marsy n’y est plus perceptible, non plus que les proportions d’origine.
Pyramide et Bain des nymphes
La Pyramide
Entre avril 1671 et juin 1672, le sculpteur François Girardon fut rétribué, à hauteur de 5 700 livres, pour « la fontaine en pyramide » située dans la partie basse, au nord, du parterre du Nord1919. Comptes des Bâtiments du Roi, 1664-1715, t. I, col. 511 (paiement du 18 avril 1671) et 617 (paiement du 20 juin 1672)..
En février 1670, le maçon Louis Jeannot avait été rétribué « pour les ouvrages de maçonnerie qu’il a faits aux ornemens de la fontaine en pyramide2020. Comptes des Bâtiments du Roi, 1664-1715, t. I, col. 415, paiement du 18 février 1670. ».
À partir de juin 1671, le peintre et doreur Jacques Bailly fut rémunéré pour des « ouvrages de dorure et de couleur de bronze qu’il fait à la fontaine en pyramide2121. Comptes des Bâtiments du Roi, 1664-1715, t. I, col. 509, paiement du 11 juin 1671. ».En août 1671, il perçut le parfait paiement de ses travaux de « dorure et bronzure de la fontaine en pyramide2222. Comptes des Bâtiments du Roi, 1664-1715, t. I, col. 527, paiement du 24 août 1671. ».
Selon Jacques-François Blondel, « cette fontaine jaillissante est du dessein de Girardon2323. Blondel, 1752-1756, t. IV, 1756, p. 102. ».
Conservé aux Archives nationales, un dessin d’ensemble présente quelques variantes de détails au regard du monument réalisé, ce qui invite à y voir un projet, éventuellement un dessin de présentation2424. Agence des Bâtiments du roi, vers 1668-1669..
Haute de plus de quatre mètres, la fontaine de la Pyramide (inv. 1850.9382-9398/inv. 2009.00.089) est constituée de trente-deux éléments sculptés principaux, dont les quatre vasques et les trois supports d’axe de la partie supérieure.
La première des vasques est portée par quatre pieds de lions et quatre tritons couronnés de lierre, la deuxième par quatre jeunes tritons, la troisième par quatre dauphins, la quatrième par quatre écrevisses. L’eau qui sort du vase porté par la quatrième vasque coule de vasque en vasque, de manière à former un grand cône : plus exactement, les nappes « forment comme autant de cloches de cristal qui s’élargissent à mesure qu’elles descendent en bas2525. Félibien, 1674, p. 51. ».
L’élément liquide recouvre ainsi successivement les écrevisses, les dauphins, les tritons enfants et les tritons adultes, comme pour accompagner une progression hiérarchisée des créatures marines, inverse à celle de la structure pyramidale de la fontaine.
À ces sculptures jouant un rôle structurel s’ajoute une vingtaine d’éléments décoratifs, également en plomb : les quatre mascarons et les quatre chutes de coquilles ornant le support en pierre de la première vasque, les quatre guirlandes de coquillages courant derrière les jeunes tritons au deuxième niveau, celles de laurier reliant les dauphins du troisième niveau, les quatre grandes coquilles agrémentant le support de la dernière vasque.
Il semble que cette structure complexe, en plomb, ait présenté assez rapidement des signes de faiblesse.En mars 1679, Girardon fut rémunéré, à hauteur de 200 livres, « pour avoir restably la fontaine de la Pyramide2626. Comptes des Bâtiments du Roi, 1664-1715, t. I, col. 1160, paiement du 19 mars 1679. ».En 1680, les serruriers Étienne Boudet et Pierre Marie furent par ailleurs rétribués pour « le gros fer de la fontaine de la Pyramide des Cascades2727. Comptes des Bâtiments du Roi, 1664-1715, t. I, col. 1273, paiement du 1er juillet 1680. ».
En 1681, le guide de Combes indique encore un traitement différencié des surfaces, la plupart des motifs étant revêtus de dorure, les écrevisses simplement « bronzées2828. Combes, 1681, p. 82-83. ».En revanche, l’inventaire de 1686 se contente de mentionner que l’ensemble est « de plomb bronzé2929. Inventaire des sculptures des jardins de Versailles, 1686, p. 100. ».
En 1684, la forme de la margelle du bassin, un carré à quatre exèdres, fut rendue circulaire3030. Mémoire des marbres demandés à Blancourt, 11 avril 1684 ; Comptes des Bâtiments du Roi, 1664-1715, t. II, col. 443, paiements de septembre-décembre au marbrier Jean Cuvillier.. L’ancien état est attesté entre autres par une gravure de Pérelle (fig. 5) et par un plan général des jardins conservé aux Archives nationales et datable de 1680-16813131. Agence des Bâtiments du roi, 1680-1681..
La même année, le mouleur Guillaume Cassegrain fut chargé d’effectuer les prises d’empreinte sur les éléments de plomb existants3232. Magnien, 1996, p. 59.. Cette opération était liée au projet de remplacer les sculptures en plomb par de nouvelles en bronze, comme pour les groupes de l’allée d’Eau. En 1685, le fondeur Nicolas de Nainville prépara l’alliage qui devait être utilisé pour la coulée. Livrés en 1691 par Jean-Balthasar Keller, qui perçut la somme de 14 400 livres, les éléments de bronze (Vjs 842) ne furent curieusement jamais installés à Versailles : encore signalés en 1702 à l’Arsenal et en magasin jusqu'en 1718, ils furent sans doute refondus par la suite, pour récupérer le métal.
Si le projet d’une pyramide de bronze n’aboutit pas, la fontaine fut néanmoins dotée d’un nouveau soubassement, un grand bloc de marbre monolithe, probablement mis en place en 16853333. Comptes des Bâtiments du Roi, 1664-1715, t. II, col. 463, 877, 891, 997, 999-1000 et 1002, paiements au charpentier François Potage, au maçon Gérard Marcou, aux marbriers Hubert Misson et Jean Cuvillier, au garde du Magasin des marbres Daniel Fossier, au charron Mangin et au voiturier par eau Boile.. C’est vraisemblablement en lien avec cette opération que le sculpteur Granier fut rétribué, en 1685, pour « avoir fait démonter et remonter partie de la fontaine de la Piramide3434. Comptes des Bâtiments du Roi, 1664-1715, t. II, col. 619, paiement du 25 février 1685. ».
Le Bain des nymphes
« Proche de la Pyramide, et à la teste de l’allée d’Eau qui descend à la fontaine du Dragon, est un grand bassin dans lequel tombe une nape d’eau, qui couvre comme un voile d’argent un grand bas-relief de bronze doré où l’on voit des nymphes qui se baignent3535. Félibien, 1674, p. 51. ». Désignée par André Félibien comme « cascade de l’allée d’Eau », le bassin du Bain des nymphes – que Louis XIV nomme « la Nape3636. Manière de montrer les jardins de Versailles, 1694, p. 48. » – est en effet alimenté par le trop-plein de celui de la Pyramide.
Exécutés en même temps, entre 1668 et 1670, la Pyramide et le Bain des nymphes sont contemporains des quatorze premiers groupes de l’allée d’Eau, dont ils partagent le système hydraulique et auxquels ils servent en quelque sorte d’introduction. Ils sont de fait conçus pour illustrer un monde aquatique, où la figure du triton est présente, et, comme les fontaines de l’allée d’Eau, les sculptures sont incorporées à une structure architecturale qui tire parti des effets liés aux rideaux d’eau pour mettre en valeur les formes plastiques et donner l’impression qu’elles sont mouvantes.
De plan presque carré, le bassin est orné de treize reliefs, répartis sur trois parois.Les cinq reliefs de la paroi orientale sont dus à Étienne Le Hongre, les cinq d’en face, à droite, à Pierre Legros, deux des protagonistes de l’allée d’Eau : ils représentent des allégories féminines de cours d’eau, accoudées sur une urne renversée (inv. 1850.9402 et inv. 1850.9403), des enfants portant chacun une conque chargée de coquillages (inv. 1850.9406 et inv. 1850.9407), des enfants voguant sur des dauphins (inv. 1850.9408 et inv. 1850.9409) et des animaux marins (inv. 1850.9410 et inv. 1850.9411).Le Hongre est également l’auteur d’un des reliefs de la paroi du fond, une allégorie fluviale (inv. 1850.9400) située à gauche du grand relief. Son relief symétrique (inv. 1850.9401) est dû à Laurent Magnier, qui, en collaboration avec Nicolas Legendre, fit aussi les deux reliefs d’enfants portant des corbeilles de fruits placés aux extrémités (inv. 1850.9404 et inv. 1850.9405).La paroi du fond est en outre scandée de quatre termes, dont les parties sculptées sont dues, pour deux d’entre eux à Legendre et Magnier (versions originales en plomb : Vjs 1068 et Vjs 1069 ; versions en bronze : inv. 1850.9413 et inv. 1850.9414) et, pour les deux autres – aux extrémités – à Philippe de Buyster (versions originales en plomb : Vjs 1066 et Vjs 1067 ; versions en bronze : inv. 1850.9412 et inv. 1850.9415).Sur la paroi du fond, le grand relief central du Bain des nymphes (inv. 1850.9399) a donné son nom au bassin tout entier. Il est dû à Girardon, qui réalisa son chef-d’œuvre dans le genre du relief.
Selon les Mémoires de Charles Perrault, le frère de ce dernier, Claude Perrault, « donna aussi le dessein du bas-relief qui est au-dessous de la fontaine de la Pyramide, que M. Girardon exécuta avec encore plus d’agrément que le dessein n’en avoit : aussi ce bas-relief est peut-être l’un des plus beaux qu’il y ait eu jusqu’alors3737. Mémoires de Charles Perrault, vers 1700, p. 211. ». Tout en confirmant cette assertion, Jacques-François Blondel apporte une précision supplémentaire de taille3838. Blondel, 1752-1756, t. IV, 1756, p. 103. : « Plusieurs attribuent à Le Brun le dessein de cette cascade et de l’allée d’Eau. Cependant, l’on en trouve les desseins, page 165, dans le premier volume manuscrit de Claude Perrault, que Charles, son frère, prétend avoir été exécutés, et où il dit que Le Brun a seulement présidé à la composition des figures. »
Sans illustrer un épisode précis, le relief de Girardon représente onze nymphes en train de se baigner et de jouer au bord d’un cours d’eau. La composition est encadrée de deux figures assises en train de se déshabiller, l’une de face et l’autre de dos, entre lesquelles se répartissent trois couples de nymphes et trois nymphes isolées, entièrement nues et batifolant au milieu des roseaux. Les nymphes sont disposées sur plusieurs plans de profondeur que soulignent les différents types de reliefs employés, du méplat au haut-relief.
Par la suite, cette scène de baignade fut rapportée à Diane : publié en 1694, le recueil gravé de Simon Thomassin est le premier à employer l’appellation de « Bain de Diane » (fig. 6). Si la déesse n’est pas représentée sur le relief, les nymphes qui y figurent peuvent faire partie de sa suite. La dénomination de « Bain de Diane » apparaît encore dans l’inventaire de 17223939. Inventaire des sculptures, 1722, p. 94..
Lorsque la fontaine supérieure de la Pyramide est en fonctionnement, une mince chute d’eau forme au-devant de l’œuvre comme un rideau en mouvement : les nymphes se trouvent plongées dans l’élément liquide et la scène, voilée et dévoilée en même temps, s’anime au mouvement d’un débit irrégulier.
En 1688, Charles Perrault devait saluer la réussite de Girardon, parvenu en quelque sorte à un résultat pleinement pictural : « Que dites-vous de cette nappe d’eau et du grand bas-relief qu’elle couvre entièrement sans le cacher, ne vous semble-t-il pas que le mouvement de l’eau donne aussi du mouvement aux figures et que ces nymphes qui se baignent se baignent dans de l’eau véritable ? Voilà un bas-relief dans toutes ses règles, il est du fameux Girardon. Non seulement les figures y paroissent de ronde-bosse et détachées de leur fond, mais éloignées les unes des autres et s’enfoncer les unes plus, les autres moins, dans le lointain du païsage. Voilà l’adresse du sculpteur, de sçavoir […], avec deux ou trois pouces de relief, feindre toutes sortes d’éloignemens4040. Perrault, 1688-1697, t. I, 1688, p. 247-248.. »
En juin 1683, Girardon fut rétribué « pour le rétablissement du grand bas-relief de métail sous la nape d’eau de la fontaine de la Piramide4141. Comptes des Bâtiments du Roi, 1664-1715, t. II, col. 314. ». L’année suivante, les parois du bassin furent revêtues de marbre, tandis que le décor fut simplifié de ses congélations4242. Marché passé avec les marbriers Cuvillier et Fleurimond, 14 avril 1684 ; Comptes des Bâtiments du Roi, 1664-1715, t. II, col. 443, paiements aux marbriers Cuvillier et Fleurimond ; ibid., col. 630, paiement du 18 février 1685 à Cuvillier pour « avoir démoly les murs de pierre de taille du bassin de la Nape »..
En 1685, le peintre François Chaillot fut chargé d’appliquer un « vernis de bronze » au « relief de la Nappe4343. Comptes des Bâtiments du Roi, 1664-1715, t. II, col. 614-615. ». D’après l’inventaire de 1686, les reliefs du bassin du Bain des nymphes étaient dorés4444. Inventaire des sculptures des jardins de Versailles, 1686, p. 100. : placé à contre-jour et recouvert d’un rideau d’eau, le relief de Girardon était ainsi mieux visible qu’il ne l’est aujourd’hui.
En 1684, comme pour l’allée d’Eau, le changement du plomb au bronze fut entrepris et le mouleur Guillaume Cassegrain fut même rétribué pour avoir réalisé des prises d’empreinte des reliefs du Bain des nymphes, de même que de la Pyramide4545. Magnien, 1996, p. 59-60.. Pour autant, le projet n’aboutit pas : seules les parties sculptées des termes (Vjs 1066, Vjs 1067, Vjs 1068 et Vjs 1069) placés de part et d’autre du grand relief de Girardon furent traduites dans le bronze (inv. 1850.9412, inv. 1850.9413, inv. 1850.9414 et inv. 1850.9415).