Bosquet du Théâtre d’Eau
Le premier aménagement
Dans la partie nord des jardins, le bosquet du Théâtre d’Eau fut aménagé à partir de 167111. Comptes des Bâtiments du Roi, 1664-1715, t. I, col. 521.. Il accueillit huit groupes sculptés en métal dus à une équipe de sculpteurs formée de Martin Desjardins, Jacques Houzeau, Pierre Legros, Gaspard Marsy, Benoît Massou et Jean-Baptiste Tuby, qui travaillèrent entre 1671 et 1674.
Toutes ces sculptures furent placées dans la partie centrale du bosquet.
Le groupe en bronze d’un Amour assis sur un dauphin (inv. 1850.10045) fut installé à l’entrée de la partie centrale, au nord. Il fut posé sur un support de coquilles de plomb superposées formant trois niveaux de vasques. Un dessin (fig. 1), anonyme et non daté, conservé à la Bibliothèque nationale de France, représente le groupe sur son support de coquilles, dans sa niche de rocailles et de charmille, au croisement de deux allées. Le groupe est au même emplacement sur un tableau de Jean Cotelle (fig. 2).
Le modèle de ce groupe est attribué à Gaspard Marsy par la gravure de Jean Lepautre de 1676. La fonte est due à Ambroise Duval. Ce dernier est en effet rétribué pour « un enfant qu’il fait pour ornement de fontaine » en 1670, et à nouveau, à deux reprises, en 167122. Comptes des Bâtiments du Roi, 1664-1715, t. I, col. 420, 523 et 527.. Les trois paiements concernent également deux vases, probablement ceux du bosquet du Théâtre d’Eau, c’est-à-dire les Vases aux anses terminées par une tête de lion et à décor de médaillons (MR 3422 et MR 3423).
Par la suite, entre 1701 et 1707, ce groupe et son support furent transférés dans les jardins de Trianon, où ils se trouvent encore aujourd’hui.
La scène du Théâtre d’Eau était creusée de trois perspectives divergentes, de part et d’autre desquelles furent disposés des groupes de plomb, au nombre de quatre. De gauche à droite, c’est-à-dire de l’est vers l’ouest, les groupes furent installés selon la séquence suivante : Deux Amours et une lyre de Legros (Vjs 724), Deux Amours et un cygne de Tuby (Vjs 744), Deux Amours et un griffon de Massou (Vjs 875) et Deux Amours et une écrevisse de Houzeau (Vjs 857).
La disposition des sculptures est indiquée sur le plan non daté (fig. 3), mais qui peut être mis en relation avec l’inventaire de 1686.
Trois groupes de plomb représentant des dieux mythologiques sous l’apparence d’Amours prirent place à l’extrémité des perspectives scéniques. Dû à Legros, le groupe de Jupiter (Vjs 865), dit aussi Le Génie de la puissance royale, était en position centrale : couronné et tenant le foudre, l’enfant ailé était assis sur un aigle, lui-même posé sur une demi-sphère étoilée, un sceptre et une couronne.
Le fond de la perspective latérale gauche accueillit le groupe de Mars de Desjardins (Vjs 840), dit aussi Le Génie de la guerre, figuré par un génie casqué, tenant bouclier et épée et assis sur un lion dévorant un loup, le tout posé sur un amoncellement d’armes.
Le fond de la perspective latérale droite fut occupé par le groupe de Plutus de Massou (Vjs 876), dit aussi Le Génie des richesses : le dieu de la richesse, fils de Cérès, fut représenté par un génie tenant une fourche, assis sur le chien Cerbère à trois têtes, aux pattes duquel étaient rassemblés des symboles de richesse, coffre, perles, pierres précieuses et pièces d’or.
André Félibien ne fait aucune mention de ces trois derniers groupes dans sa Description sommaire de 1674, dont l’achevé d’imprimer date de décembre 1673, ce qui laisse supposer qu’ils ne furent placés que dans un second temps.
Charles Le Brun semble avoir joué un rôle dans l’élaboration de ces fontaines du bosquet du Théâtre d’Eau : deux de ces fontaines, Deux Amours et une écrevisse (Vjs 857) et Deux Amours et un cygne (Vjs 744), figurent de fait au sein du Recueil de divers desseins de fontaines et de frises maritimes inventez et dessignez par Monsieur Le Brun, publié vers 1685 par le graveur Louis de Chastillon33. Chastillon, d’après Le Brun, vers 1685, pl. 16..
Datées de 1676 ou 1677, huit gravures de Jean Lepautre ont conservé le souvenir des groupes du bosquet du Théâtre d’Eau.
Dans sa description versifiée des jardins de Versailles, rédigée vers 1675, le fontainier Claude Denis mentionne douze vases de bronze au bosquet du Théâtre d’Eau44. Description par Denis, vers 1675, fol. 47.. Dix de ces vases sont visibles sur une gravure d’Israël Silvestre, Le Théâtre d’Eau dans les jardins de Versailles, datée de 1680 (fig. 4) : de gauche à droite, c’est-à-dire d’est en ouest, un Vase aux anses terminées par une tête de lion et à décor de médaillons, un Vase aux anses formées d’une tête de bouc surmontée d’un satyre, un Vase aux anses formées de volutes surmontant un mascaron, un Vase aux anses formées d’un protomé de lion surmonté d’un Amour, un Vase aux anses formées d’un protomé de lion surmonté d’une sphinge. En revanche, les dix vases sont tous du même modèle, aux anses formées d’une sirène, sur le tableau de Cotelle déjà évoqué (fig. 2) et sur la gravure que Charles-Louis Simonneau, dit Simonneau le jeune, exécuta d’après ce dernier, Veue principale du Théâtre d’Eau dans le jardin de Versailles, datée de 168955. Simonneau, d’après Cotelle, 1689.. Ces vases ne sont signalés par aucun inventaire. Six des dix socles des vases sont présents sur le dessin conservé à la Bibliothèque nationale de France (fig. 1).
À l’exception du groupe de Marsy, transféré à Trianon au début du xviiie siècle, toutes les sculptures en métal des fontaines du Théâtre d’Eau disparurent lors de la destruction du bosquet au moment de la replantation des jardins à partir de 1774.
Achetés en 1939 par la National Gallery of Art de Washington, deux groupes de plomb, Deux Amours et une lyre et Deux Amours et un cygne, sont réputés être issus du bosquet du Théâtre d’Eau. De même provenance que Le Loup et la tête du Labyrinthe, les deux groupes paraissent en fait être des recompositions récentes habilement faites à partir des gravures de Lepautre66. Maral, 2012, p. 169..
Nouvelles sculptures
L’inventaire de 1686 énumère six autres sculptures, en marbre, au bosquet du Théâtre d’Eau77. Inventaire des sculptures des jardins de Versailles, 1686, p. 77-78. : le Ganymède Médicis de Jean Joly (MR 2002), la Vénus Médicis d’Antoine Coysevox et Jean Joly (Vjs 839), le groupe de Marsyas et Olympe Ludovisi de Jean-Baptiste Goy (MR 1821), le Petit Faune Borghèse de Jean-Baptiste Goy (MR 1922), la Vénus callipyge Farnèse de François Barrois (MR 1999) et la Junon de Besançon (MR 542). Cette dernière, un buste antique restauré par Girardon, était posée sur un piédestal sculpté par Noël Jouvenet (MR 3163).
Grâce au plan non daté (fig. 3), mais qui porte les numéros de l’inventaire de 1686, il est possible de situer ces six sculptures : le Ganymède Médicis (MR 2002) se tenait en face de l’entrée sud-est du bosquet ; la Vénus Médicis (Vjs 839) dans l’angle oriental ; le groupe de Marsyas et Olympe (MR 1821) en face de l’entrée nord-est ; le Petit Faune Borghèse (MR 1922) face à l’entrée nord-ouest ; la Vénus callipyge (MR 1999) dans l’angle occidental ; et la Junon de Besançon (MR 542) face à l’entrée sud-ouest.
L’inventaire de 1694 ne mentionne que quatre sculptures en marbre au bosquet du Théâtre d’Eau : le buste de Junon (MR 542), le Petit Faune Borghèse (MR 1922), le Ganymède Médicis (MR 2002) et le groupe de Marsyas et Olympe Ludovisi (MR 1821).
Entre 1686 et 1694, la Vénus Médicis de Coysevox et Joly (Vjs 839) et la Vénus callipyge de Barrois (MR 1999) furent transférées à Marly sans être remplacées : elles correspondaient aux deux socles, surnuméraires, des angles de l’allée contournant la salle centrale.
À partir de l’inventaire de 1694, le Petit Faune Borghèse (MR 1922) est attribué à Raon par les inventaires et les guides.
Grâce au plan (fig. 5) du recueil de Pierre Lepautre daté de 1711, il est possible de connaître précisément l’emplacement du terme du Jupiter de Besançon (MR 251), qui se trouvait à l’entrée sud-est du bosquet, accessible depuis le rond-point des Philosophes.
Le Petit Faune Borghèse (MR 1922) fut transféré à Marly entre 1711 et 1713 et remplacé par le Bacchus de Robert Le Lorrain (MR 1806), comme le montre le plan dessiné par Dominique Girard et gravé par Jean Raymond en 1714 (fig. 6).
Le Bacchus de Le Lorrain est déjà signalé par l’édition de 1713 du guide de Jean-Aymar Piganiol de La Force.
C’est donc peut-être en raison d’une communauté thématique que le Ganymède Médicis de Joly (MR 2002) fut remplacé par le Jupiter de Besançon (MR 251), qui n’apparaît qu’à partir de 1707, à l’entrée sud-est du bosquet.
Le plan de l’abbé Jean Delagrive, publié en 1746, révèle encore un changement dans la disposition des sculptures au regard du plan de 1714 (fig. 6) : la Junon de Besançon (MR 542) est désormais à l’entrée nord-est, à la place du Marsyas et Olympe Ludovisi de Goy (MR 1821), qui est installé à l’entrée sud-ouest.
Cette permutation, qui a pu se produire entre 1714 et 1746, correspond peut-être à une erreur de plan. En effet, le plan publié en 1768 par l’ingénieur Jean-André Hervet est conforme au dispositif de 1714.
En 1710, huit figures enfantines de plomb, exécutées par Jean Hardy, François Lespingola et Claude Poirier six ans auparavant pour les bassins des Carpes à Marly, furent transférées à Versailles pour former une composition nouvelle dans la partie ouest du bosquet du Théâtre d’Eau : le bassin de l’Île des enfants (inv. 1850.9573 à inv. 1850.9578 ; inv. 2012.00.670 à inv. 2012.00.672).
Le bassin de l’Île des enfants a survécu à la destruction du bosquet du Théâtre d’Eau, remplacé par le bosquet du Rond-Vert à l’occasion de la replantation des jardins de Versailles, entre 1774 et 1776.